La nuit s’installe dans ses artères, là où les lampadaires ont remplacé les allumeurs de réverbères. À Montréal, l’art ne se cantonne pas au balcon, il se griffonne, se crayonne et se claironne. Ici, on bigarre les murs des ruelles, n’ayant pas peur d’employer des couleurs disparates. Les graffitis omniprésents sont encore source de discorde auprès des artistes et propriétaires. En effet, la question se pose: s’agit-il de vandalisme ou d’art urbain? Pour défendre l’idée qu’il s’agit bien d’une forme d’art, j’aborderais l’obtention de la crédibilité des graffeurs, les codes et la manière de contrer le toying.
Notre belle métropole côtoie des «tagueurs» ainsi que des artistes muraux qui doivent gagner leur crédibilité. Cependant, dans ce milieu aux règles arbitraires, il faut se faire respecter et trouver sa place. Il s’agit d’un art socialement engagé, et c’est pourquoi il est essentiel que cet art ait une intention, car c’est bien plus qu’une simple expression visuelle. Cela peut refléter des idées politiques, de l’ironie, un commentaire social ou simplement marquer son passage. Malgré que certains murs soient dédiés aux graffitis, les messages véhiculés peuvent avoir moins d’impact que ceux réaliser dans ces quartiers négligés. L’art provocateur qui nous surprend ou qui nous sensibilise correspond à des œuvres efficaces qui inspirent le respect. La crédibilité passe aussi par la légitimité du geste. Les graffeurs doivent déterminer s’il s’agit de pollution visuelle ou d’art.
Dans cette sphère d’art urbain, il y a beaucoup de règles non écrites. Par exemple, «faire mieux ou faire ailleurs», une devise autrefois mieux respectée qu’à présent. Jadis, les débutants n’allaient pas taguer les murales des graffeurs emblématiques. Bien qu’il s’agisse de création éphémère, il y a des coutumes à suivre pour garder son titre comme en refaisant une murale endommagée. Ainsi, ils évitent de déclencher une guerre territoriale. Aussi, certaines murales sont jugées inattaquables. Il s’agit généralement des tags d’une personne décédée, si vous avez le malheur de passer par-dessus, vous vous exposez à des représailles de la part d’autres graffeurs. Parmi les inviolables, il y a celles du tagueur Alexandre Veilleux de grand renom, connu sous le nom Alex Scaner, alias «King», décédé d’un cancer en 2017.
Le Toying est l’acte de sabotage d’œuvre qui ternit le travail des graffeurs. Il nourrit les préjugés de cet art et décrédibilise. Plusieurs arrondissements tels que Hochelaga-Maisonneuve et Ville-Marie décaissent d’importants montants pour nettoyer le vandalisme sur les propriétés privées. C’est ce qui a inspiré dans les dernières années, un enduit anti-graffitis. Le solvant appliqué permet de conserver l’œuvre officielle vandalisée. Néanmoins, ces produits modifient le rendement des couleurs, donc peu d’artistes l’utilisent pour protéger leur travail. Toutefois, certains ignorent que dans les contrats de murales financées, on retrouve la clause d’entretien. Celle-ci oblige les fresquistes à repeindre à l’identique la zone taguée. Finalement, allouer des espaces dédiés uniquement aux tagueurs pour qu’ils puissent s’exprimer, tout en respectant la loi, est une stratégie pour lutter contre le toying.
En somme, les graffitis sont de l’art urbain valide qui, malgré sa présence depuis plusieurs années dans nos rues, reste controversé. Sous leur coup de pinceau et d’aérosol se cachent la crédibilité artistique, des codes puis une communauté qui lutte contre le toying de leurs œuvres. Entre deux cônes orange, à travers ta vitre d’auto ou gambadant dans une ruelle verdoyante, observe les murales, les tags ou les fresques. Saisis toute la beauté, la vie et l’histoire qui en dégage, car le graffiti ne se limite pas à la dégradation, il émerge de l’émotion, de la révolution et de l’émancipation.
Bannissons le vandalisme du lexique, clamons que Montréal authentique exhibe son canevas unique, là où le graffiti restera ancré dans le paysage montréalais telle une mosaïque.
Éléonore Forest